Intervention de Nicolas Lebas, pour le groupe Faire Respirer Lille, sur le moratoire 5G présenté par Martine Aubry en conseil municipal : le numérique est un levier majeur de la transition écologique et la 5G en sera l’accélérateur. Il est irresponsable et dangereux de renoncer au progrès au nom du principe de précaution.
Madame le Maire,
Chers collègues,
Vous nous soumettez ce soir une motion visant à surseoir à l’implantation d’antennes de téléphonie mobile liée à la technologie 5G sur le territoire de LILLE – LOMME – HELLEMMES. Vous justifiez cela en exprimant vos inquiétudes et vos doutes sur cette technologie, en matière de santé publique, d’intérêt économique et d’opportunité numérique.
Je veux vous dire, Madame le Maire, à quel point les membres du Groupe Faire Respirer Lille ont été estomaqués par la légèreté de cette démarche et par la pauvreté de l’argumentation développée pour la servir.
Heureusement d’ailleurs que cette motion précise en préambule que ses auteurs sont « évidemment favorables au progrès » car la suite permet sérieusement d’en douter tant les arguments servis sont dénués de sérieux, de rigueur et d’analyse.
Nous sommes ici au Conseil Municipal de Lille, mes chers collègues, et nous devons prendre nos décisions avec intégrité et sérieux au terme d’une analyse la plus rigoureuse possible.
Car enfin n’y a-t-il pas à Lille suffisamment d’ingénieurs, d’universitaires et de chercheurs pour venir nous éclairer ? Nous disposons d’une des meilleures universités publiques du pays, de laboratoires remarquables, d’écoles d’ingénieurs prestigieuses et on se laisse aller à la facilité d’une médiocre motion exprimant sa défiance à l’égard d’une technologie déjà largement déployée de part le monde sans même prendre la peine de remettre un minimum de rigueur scientifique dans le débat.
Nous savons, mes chers collègues, que le principe de précaution a désormais valeur constitutionnelle mais ce que vous nous proposez avec cette motion, c’est le dévoiement de ce principe. Ce que vous nous proposez, c’est – prenez-y garde – la tyrannie du principe de précaution. En flattant les peurs collectives sans chercher à y apporter des réponses structurées et argumentées permettant aux élus de faire en conscience un choix éclairé, il nous semble que nous manquons à notre devoir à l’égard des Lilloises et des Lillois qui ne verront en leur Conseil Municipal qu’une assemblée de mièvres qui préfèrent ouvrir des parapluies plutôt que prendre leurs responsabilités face à la science et face à l’histoire.
Alors oui, il y a un débat sur la 5G mais cessons de faire croire que nous en serions les arbitres. Face aux arguments des craintifs, nous pourrions opposer les éléments de langage séduisants que les opérateurs diffusent obligeamment aux relais d’opinion, mais cela nous ferait-il progresser ?
Vous évoquez l’argument de la santé publique, essentiel à nos yeux, mais la vérité oblige à dire qu’aucune étude n’a mis en évidence d’effets nocifs sur la santé des personnes exposées à cette technologie dans son usage courant.
Vous développez également l’argument de la transition écologique. Or justement le numérique sera un levier majeur de la transition écologique et la 5G – si l’on prend en compte l’ensemble de ses potentiels – peut en permettre l’accélération.
Au regard des propositions de la convention citoyenne pour le climat, le Président de la République s’est d’ailleurs engagé à ce que la 5G soit déployée en pleine transparence, avec à chaque étape toutes les garanties environnementales et sanitaires.
Notre groupe assume donc qu’il est favorable aux perspectives ouvertes par cette technologie qu’il s’agisse du développement des objets connectés, de la télémédecine, des opportunités d’innovations qu’elles soient pédagogiques, pour les industries créatives ou pour les villes intelligentes plus sobres demain par un meilleur pilotage de leurs ressources.
Comme nous assumons aussi que nous ne sommes pas favorables à la mobilisation de cette technologie pour des usages dévoyés, créant une « surconsommation numérique » et une hyperinflation de datas qui ne seraient ni utiles, ni maîtrisées. Car la vraie question est là, mes chers collègues : ce qui est en cause ce n’est pas la technologie – le tuyau – mais bien plus ce que l’on met dedans, les usages, qui méritent eux – assurément – qu’on les encadre et qu’on les régule. Cette question mérite d’ailleurs d’être approfondie avec ou sans 5G. Pour passionnant qu’il soit, ce débat n’a pourtant pas vocation à être tranché à la va-vite à la table du Conseil Municipal de Lille mais en particulier sur les bancs du Parlement et nous disposons aussi à Lille d’excellents parlementaires qui sauront le faire le moment venu.
Vous auriez pu également proposer une conférence de consensus avec nos concitoyens, nos chercheurs, nos ingénieurs et nos universitaires pour examiner les usages et les conditions de déploiement que notre territoire souhaiterait favoriser.
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J’en viens enfin à la seconde partie de votre motion qui ambitionne ni plus, ni moins, d’étendre à toute la Métropole Européenne de Lille vos desseins réfractaires.
J’ignore si cela fait partie de l’étrange accord majoritaire passé avec Damien Castelain mais nous avons quelques raisons de frémir… Car enfin, les métropoles comme Lille sont en compétition à l’échelle européenne et qui s’intéressera à un territoire qui se tiendrait ainsi à l’écart, refusant uniquement sur des doutes et des inquiétudes, une technologie éprouvée ? Quels entrepreneurs viendront investir leurs capitaux dans une Métropole jadis ambitieuse et qui marquerait ainsi une défiance irrationnelle à l’égard d’évolutions technologiques partout ailleurs acceptées et maitrisées ? Quelle agence européenne s’efforcerait de convaincre ses agents de rejoindre Lille si les élus du territoire semblent s’effrayer quand il faudrait plutôt savoir analyser, réfléchir et éclairer les choix publics de manière cartésienne ? Quel message voulez-vous envoyer à nos chercheurs de l’Institut Pasteur, à nos ingénieurs d’Eurasanté, à nos futures pépites, à nos petits génies créatifs d’Euratechnologies ou de la Plaine Image, si demain ils ne disposent pas avant les autres de l’accès aux technologies les plus avancées pour mener à bien leurs travaux ? Avez-vous renoncé à conjuguer attractivité et développement durable de notre Métropole ?
J’en viens à notre explication de vote. Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas cette motion pour toutes les raisons que je viens de développer mais aussi pour dénoncer le caractère vain de cette démarche car ce moratoire ne sera juridiquement opposable à personne.
Madame le Maire, vous qui vous targuez parfois imprudemment d’être magistrat au Conseil d’Etat, vous le savez pertinemment et vous faites semblant de l’ignorer. Cette motion n’est en somme qu’une gesticulation de plus et vous le savez très bien puisque vous n’avez même pas su empêcher les expérimentations qui ont d’ores et déjà débuté à Lille depuis de nombreux mois. Cela aussi vous le savez et de bonne foi, vous ne pourrez le contester.
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Il y a dans les rangs même de votre majorité de brillants esprits qui devraient saisir ce soir la gravité de l’instant. Je les invite à réfléchir, à refuser de joindre leurs voix aux murmures des peurs sourdes et irrationnelles, par réflexe ou par discipline majoritaire.
Je les invite, je vous invite tous à écouter Etienne Klein, philosophe des sciences, auteur d’un ouvrage qui s’intitule « Le goût du vrai », que m’a obligeamment prêté mon ami Bernard Charles. Que nous dit Etienne Klein ?
« La philosophie des Lumières défendait l’idée que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité, sur laquelle elle ne saurait avoir de prise : les vérités scientifiques, en particulier ne relèvent pas d’un vote. La crise sanitaire a toutefois montré avec éclat que nous n’avons guère retenu la leçon, révélant l’ambivalence de notre rapport à la science et le peu de crédit que nous accordons à la rationalité (…). Lorsque d’un côté, l’inculture prend le pouvoir, que de l’autre, l’argument d’autorité écrase tout sur son passage, lorsque la crédibilité de la recherche ploie sous la force de l’événement et de l’opinion, comment garder le goût du vrai – celui de découvrir, d’apprendre, de comprendre ? »
J’en termine donc, chers collègues en vous disant que ce soir, la ligne de partage entre nous ne dessine ni la droite, ni la gauche mais elle permettra aux Lilloises et aux Lillois, à l’heure du vote, de discerner clairement qui parmi nous incarne véritablement le camp du progrès.
Je vous remercie.
Nicolas Lebas pour le groupe Faire Respirer Lille