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PLAN CLIMAT en Métropole lilloise : neutralité carbone en 2050, une ambition trop mesurée

Neutralité carbone annoncée pour 2050 : la MEL décide de s’engager… à respecter la loi. Vous me direz, c’est déjà ça. Mais est-ce à la hauteur des enjeux ?

Plan Climat-Air-Energie Territorial (PCAET) Intervention de Violette Spillebout en Conseil Métropolitain du 19 février 2021

Mr le Président, chers collègues,

Nous venons d’en avoir la démonstration, Le Plan Climat-Air-Energie Territorial est un énorme travail, associant élus, agents, partenaires, qu’il faut tous saluer pour leur engagement. 

Reconnaissons que, depuis le vote pour l’arrêt du document et la mise en concertation en décembre 2019, beaucoup d’énergie a été fournie pour renforcer la lisibilité des documents, donner un fil conducteur plus clair et éviter un aspect trop catalogue.

Je me réjouis de vous avoir entendue, Mme Linkenheld, parler au moins 10 fois dans votre intervention de l’évaluation. Parce qu’il reste ce soir quand même une difficulté : pour établir une telle stratégie pluriannuelle, il faut partir d’une situation claire et évaluer précisément l’efficacité de nos précédentes démarches. 

Comment se lancer dans une nouvelle stratégie sur 5 ans sans avoir pu suivre ce qui a bien fonctionné et ce qui a échoué dans le plan précédent ? Aucune des deux évaluations prévues, en 2015 et en 2018, n’a été faite. Nous les avions demandées : on nous a répondu qu’elles n’existaient pas. Ma collègue Isabelle Mariage avait déjà souligné cette carence en 2019. 

Or, dans les avis qu’ils ont rendu, la Préfecture et l’Autorité environnementale disent exactement la même chose et soulignent combien cette évaluation du PCET précédent manquait au dossier soumis à enquête publique. Bien forcée de suivre les exigences de l’Autorité environnementale à défaut de nos demandes, la MEL s’est donc résolue à joindre au dossier, cette fois, quelques éléments synthétiques concernant le PCET précédent. Il faut chercher méticuleusement dans les 1 000 pages de documents pour les trouver. Et on n’y trouvera guère, comme on l’espérait, de résultats précis et chiffrés. Tout juste nous renvoit-on à un prochain diagnostic, pas encore réalisé, pour y voir bientôt plus clair quant à l’efficacité réelle du plan 2014/2018.

On y apprend que pour la majorité des objectifs, nous avons à peine fait de la moitié du chemin que nous nous étions fixé. Cela explique peut-être en partie pourquoi aucun rapport d’évaluation n’a été présenté en conseil !

  • Un exemple très concret, qu’il nous a fallu reconstituer nous-mêmes puisque ce n’est jamais écrit : dans son Plan Climat de 2013, la MEL s’était engagée à réhabiliter 14 100 logements par an. On sait à quel point la réhabilitation énergétique des logements est décisive en matière d’émissions et d’économies d’énergie. 14 100 logements par an c’était particulièrement ambitieux, et il s’avère en effet que nous n’avons jamais approché ce chiffre, même de loin. Nous atteignons péniblement 3 200 logements réhabilités par an, moins d’un quart de notre objectif. Et dans le PCAET qui sera adopté ce soir, nous reconnaissons notre incapacité à faire ce sur quoi nous nous étions engagés en 2013, puisque nous fixons la barre à 8 200 logements rénovés par an. Serons-nous en mesure de les atteindre ?
  • Deuxième point de vigilance sur lequel nous appelons votre attention : l’association du public à notre stratégie métropolitaine en matière de Climat, d’Air et d’Energie. La Métropole s’engage sur des objectifs, mais des objectifs qui sont largement pour les autres ! Qu’il s’agisse des entreprises ou des individus établis sur notre territoire. Or, malgré une prise de conscience collective sur ces questions depuis quelques années, force est de constater que la MEL n’arrive pas à faire en sorte que les Métropolitains se sentent concernés par ce PCAET. 

Lors du vote sur l’arrêt du Plan en 2019, Audrey Linkenheld (qui n’était pas la vice-présidente en charge mais s’exprimait pour le groupe socialiste) nous disait : « Les citoyens ont été associés en amont, tant mieux. Ils étaient un millier à peu près. Il faut surtout qu’ils soient présents en aval, et que nous passions du millier au gros million d’habitants de la Métropole, parce que c’est là que cela se jouera ». Elle avait raison, mais du coup on ne peut pas se satisfaire, et elle non plus sans doute, d’une concertation publique sur le PCAET qui aura rassemblé en tout et pour tout 83 contributions. Dont quasiment la moitié pour dire que notre plan manque d’ambition.

  • Car c’est là évidemment que réside la plus grande difficulté de ce plan. L’échantillon des commentaires est modeste, mais il en dit long : la MEL se fixe des objectifs qui n’en sont pas vraiment. Elle décide de s’engager… à respecter la loi. Vous me direz, c’est déjà ça. Mais est-ce à la hauteur des enjeux ? Certes, on nous dit que ces objectifs seront réajustés (à la hausse on l’espère) lors de l’évaluation à mi-parcours en 2023. Mais l’expérience du Plan 2013 ne nous incite pas à tout miser sur cette étape à mi-parcours.

En matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous sommes particulièrement embarrassés par la ligne d’horizon que nous fixe ce PCAET. Les objectifs intermédiaires sont un peu mieux-disant que nos obligations légales… mais ils restent inférieurs à ce que, par exemple, la Maire de Lille demandait en mai 2019 dans une lettre ouverte qu’elle a cosignée avec 200 Maires européens. C’est plus facile de demander des choses aux autres que de se l’appliquer à nous-mêmes… 

Et nous restons in fine avec une ambition très mesurée, dans les clous de la loi, d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Là où beaucoup de territoires (certes partis plus tôt et plus fort que nous) sont beaucoup plus volontaristes. Sans même aller à l’étranger, où les exemples sont innombrables (de Copenhague 2025 à Manchester 2038), en France l’agglomération de La Rochelle par exemple se donne les moyens d’arriver à la neutralité en 2040. Même Marseille, qu’on cite rarement en exemple dans ce domaine, annonce une ambition en matière de décarbonnation qui surpasse la nôtre, et de loin. 

C’est le problème des émissions de gaz à effets de serre : les premières tonnes sont nettement plus faciles à réduire et éviter que les dernières. C’est donc maintenant que tout se joue, et ce qui ne sera pas obtenu dans les toutes prochaines années ne se rattrapera pas à temps. Au moment de la prochaine réévaluation du Plan dans trois ans, nous ne pourrons pas rembobiner : nous ne pourrons que pleurer sur le CO2 renversé.

J’ajoute, comme me le précisait mon collègue Alexandre Garcin, que la MEL n’engage ici une stratégie principalement sur un tiers des émissions, les émissions directes. Sur les autres émissions les objectifs sont insuffisants.

De façon générale, on pourra regretter en effet que ce nouveau PCAET n’assume pas totalement une réalité qu’il faut voir en face : certaines de nos politiques métropolitaines sont parfois, pour ne pas dire souvent, contradictoires entre elles. Un seul exemple : la recherche de cessions foncières avec charges maximales, alors que la MEL a aussi un rôle de régulateur du marché foncier, permettant des projets plus qualitatifs environnementalement et donc déjà plus chers à la construction.

Est-ce que ces différents éléments de réserve suffiraient à justifier de notre part un vote négatif ou une abstention ? Bien sûr que non. Notre précédent Plan Climat est obsolète depuis 2 ans. Préparer un Plan a pris 3 ans, avec un petit supplément imprévu lié à la crise COVID. Alors adoptons ce plan, engageons-le vite et bien, mais ne nous auto-glorifions pas trop : il nous permet de répondre à nos obligations, c’est déjà beaucoup mais tout reste à faire. 

Un dernier mot enfin pour souligner trois aspects du programme d’action, deux qui nous déçoivent un peu, l’autre qui nous réjouit.

  • La première déception, que nous avons déjà relevée en commission, c’est de voir que l’aspect contraignant n’est jamais décliné dans ce plan. Pourtant, la Métropole a un rôle à jouer en matière d’écologie punitive : celle qui contraint et punit ceux qui commettent de leur pleine volonté des atteintes à l’environnement. Ce serait le rôle d’une police métropolitaine de l’environnement, en phase avec les compétences de la MEL, que nous appelons de nos vœux et qui existe déjà dans plusieurs intercommunalités comme la Métropole de Grenoble ou l’agglomération de Saint-Quentin. On nous a dit en commission qu’elle pourrait intégrer le plan d’actions en 2023 : nous trouvons dommage qu’elle n’y trouve pas sa place dès ce soir, puisqu’il semble que tout le monde est d’accord.
  • Deuxième déception : le plan d’action ne comprend pas de volet consacré à l’exemplarité de la structure MEL. L’enjeu n’est pas décisif à l’échelle du territoire, mais il est très symbolique, et il est dommage que la Métropole n’inscrive pas dans ses documents stratégiques des engagements sur ses propres façons de faire. 
  • Je veux toutefois terminer sur un motif de réjouissance, qui apparait dans ce programme d’action : on y tourne clairement le dos à l’écologie de la décroissance. Ce PCAET, et c’est une bonne nouvelle, ne défend jamais une écologie contre le progrès. La fiche n°2 valide l’ambition des compteurs communicants en matière d’énergie, et la fiche n°25 présente l’arrivée de technologies (dont la 5G) comme un outil nécessaire à la digitalisation de nos pratiques individuelles et collectives, synonymes d’optimisation des consommations énergétiques. On ne pourra que se réjouir de voir que, pour la MEL et chacune de ses communes membres, la lutte contre le réchauffement climatique passe aussi par le progrès technologique.

Je vous remercie.