Conseil MunicipalLille

Chambre Régionale des Comptes

Conseil municipal du 20 juin 2025

Monsieur le Maire, chers collègues,

Sur le plan formel :

Le rapport a été notifié par la Chambre régionale des comptes au maire de Lille en date du 29 mai 2025. Il est inacceptable que ce rapport n’ait pas été présenté aux membres du conseil municipal dans le cadre normal des instances de préparation du conseil et notamment qu’il ne leur ait pas été communiqué en vue des réunions des commissions, qui se sont tenues quinze jours plus tard. Cette façon de procéder vise manifestement à empêcher les élus non majoritaires de jouer leur rôle, en leur fournissant 60 pages d’expertise de la CRC à peine 4 ou 5 jours avant la séance lors de laquelle ce rapport doit être débattu. Il n’y a pas de quoi en être fier.

Sur le fond : 

Le rapport de la Chambre régionale des comptes sur la gestion de la Ville de Lille, que nous avons devant nous ce soir, comporte des constats à la fois positifs et inquiétants. Il est bien difficile de le qualifier de foncièrement négatif. Cependant, les éléments qu’il soulève doivent nous inciter à une profonde réflexion et, surtout, à une série de corrections immédiates.

D’abord, sur la gouvernance de la Ville : aucun manquement grave n’a été relevé, ce qui est à saluer, de même que les progrès notables sur l’absentéisme des agents municipaux. Mais ne soyons pas dupes. Il est aussi une question fondamentale que ce rapport ne manque pas de soulever : celui de la gestion des ressources humaines. L’augmentation de la précarité dans nos effectifs municipaux, avec une progression de 54 % des non-titulaires, ne peut pas être ignorée. En comparaison avec Bordeaux, qui, avec des effectifs plus homogènes et 800 agents de moins pour une population similaire, semble faire mieux, Lille s’engage sur une voie dangereuse. Moins de stabilité, moins de fidélisation des agents, et plus de risques sur le long terme.

Je tiens également à rappeler une problématique qui, elle, n’est pas nouvelle : les pratiques irrégulières en matière d’indemnités et de primes. En 2018, la Chambre avait déjà mis en lumière des dispositifs financiers illégaux. Malgré cela, 6 millions et demi d’euros ont été versés hors cadre légal pour la complément IFSE, et près de 8 millions d’euros pour la prime d’accord salarial, jusqu’à ce qu’enfin la CRC impose un terme à ces pratiques, fin 2024. Mais qui peut se satisfaire de cette inertie ?

Sur la question cruciale de la transformation numérique, l’alerte est aussi rouge. Les systèmes d’information, notamment en matière de gestion RH et financière, sont obsolètes. Nous voyons ici les conséquences de la négligence de longue date. Des logiciels non mis à jour depuis 2022, dont l’obsolescence a des conséquences lourdes pour l’administration municipale. Cette situation doit impérativement être corrigée avant qu’elle n’engendre des dérives majeures. Mais là encore, l’attentisme des responsables politiques est flagrant.

Et que dire de la gestion financière, qui devrait être au cœur de nos préoccupations ? La faiblesse des contrôles internes, l’inefficacité des régies de recettes et de dépenses et une augmentation des charges de gestion bien plus rapide que celle des subventions aux associations. En 5 ans, plus de 2 millions d’euros ont disparu des subventions destinées à nos partenaires locaux, alors même que l’inflation galopait de 14 % et que la taxe foncière a bondi de 29 à 48 % ! C’est bien beau de se vanter des aides de l’État, mais à un moment donné, il faut assumer une politique locale qui rééquilibre les finances sans sacrifier nos services de proximité.

Enfin, la plus grande inquiétude que soulève ce rapport est celle de la dette. La Ville s’enfonce dans une spirale d’endettement de plus en plus profonde. La Chambre prévoit que la capacité de désendettement pourrait passer de 5,9 ans à 9,3 ans d’ici 2026, avec un encours de dette en augmentation de 15 %. Le seuil d’alerte est fixé à 10-12 ans. Nous y sommes presque. Cette trajectoire est inacceptable, et nous devons, en toute urgence, redresser la barre pour éviter une crise financière qui pourrait devenir irréversible.

Monsieur le Maire, chers collègues, ce rapport est une invitation à l’action. Nous ne pouvons pas nous contenter de le prendre comme une simple photographie de notre gestion actuelle. Il est temps de redresser la trajectoire. D’abord en refondant notre politique de gestion des ressources humaines, puis en mettant fin aux pratiques financières irrégulières, en modernisant nos outils numériques et en prenant la pleine mesure des conséquences de l’envolée de notre dette. Si nous ne réagissons pas maintenant, nous pourrions bien payer cher les erreurs d’une gouvernance trop lâche et trop déconnectée des réalités financières.

Lille ne peut pas se permettre de continuer sur ce rythme. La situation exige un changement radical et immédiat. Et c’est là, au fond, que se situe la véritable question : à quel prix allons-nous enfin agir ?

Je vous remercie.