Conseil Municipal

L’ACCESSIBILITÉ : Toilettes publiques – Intervention de Vanessa DUHAMEL

Madame le Maire, chers collègues ;

La délibération qui nous est soumise est pour moi l’occasion de rappeler et commenter quelques chiffres sur lesquels j’appelle l’attention bienveillante des membres de la commission d’accessibilité de notre commune : notre ville de 230.000 habitants compte 13 points d’eau potable et 9 toilettes publiques, soit une pour 25.555 vessies. A ces 9 toilettes publiques s’ajoutent, à en croire le site wcpublics.chez.com, 4 toilettes semi-publiques, gare Lille Flandres, Office de Tourisme, Le Printemps et Carrefour Euralille.

Je concède volontiers à votre majorité qu’elle s’est emparée du sujet, puisque trois toilettes publiques sont budgétisées pour l’année 2021, ce qui fera notablement diminuer le ratio pour le ramener à une toilette publique pour 19.166 vessies.

Dans une passionnante étude universitaire publiée par la revue « Droit Social », le Professeur Julien Damon, sociologue spécialiste de la pauvreté, a mis en lumière la triste corrélation entre la volonté de nombreuses villes de chasser les SDF et la démolition des toilettes publiques, ainsi que l’échec patent de ces politiques, qui ont conduit l’ensemble de la population, SDF compris, à uriner dans les lieux les plus divers. Ainsi nous trouvons-nous dans cette situation invraisemblable où des communes qui se prétendent éco-responsables font moins bien que les empereurs Romains Néron puis Vespasien, qui certes taxaient les latrines au début de notre ère, mais n’en organisaient pas moins la collecte de l’urine écologiquement recyclée par les artisans teinturiers.

Rappelons en outre pour mémoire que Paris connut des « barils d’aisance à tous les coins de rue » dès l’an 1771, à l’initiative d’Antoine de Sartine, lieutenant général de Police. La capitale comptait alors pourtant déjà 580.000 habitants. 

Dans son étude, le Professeur Damon relève que partout sont supprimées les latrines publiques, un temps devenues payantes, avant de revenir à la gratuité mais pour rapidement être éradiquées. Elles disparaissent ainsi des gares, des parcs et jardins, et sont inconnues des stations de métropolitain.

On sait pourtant qu’outre les habitants en général, quatre catégories de population en auraient grandement besoin : les SDF déjà cités, les touristes, les personnes atteintes de maladies chroniques ainsi que nos anciens, qui doivent y recourir plus fréquemment et qui seront de plus en plus nombreux à mesure que vieillira notre population.

En outre, l’une des causes de la disparition des toilettes publiques, le rétrécissement des trottoirs, sera rendue caduque par la généralisation des entraves mises à la circulation automobile. J’ajoute que la volonté municipale de ralentir et piétonniser les trajets ne pourra qu’entraîner un accroissement mécanique de la demande de lieux d’aisance.

D’autres communes que la nôtre sont pourtant incontestablement mieux loties, telles que Rennes, dont vous partagez l’étiquette politique, avec 64 toilettes publiques pour 217.000 habitants, soit une pour seulement 3.390 citoyens. On ne sache pas pourtant que la vessie Bretonne soit de moindre contenance que la Flamande, ni quoiqu’on puisse en penser que le Breton soit notablement plus assoiffé.

Songeons-y, au rythme que votre majorité adopte, notre ville aura rattrapé la capitale Bretonne dans à peu près 18 années, trois mandats municipaux encore, plus peut-être que les Lillois ne consentiront à vous accorder.

En conclusion de son étude, le Professeur Damon émet une fort intéressante suggestion, que je soumets à mon tour à notre assemblée : considérant l’improbabilité de voir réapparaître les toilettes publiques à visage humain, sécurisées, propres et suffisantes en nombre que nous appelons nous-mêmes de nos voeux, il promeut l’idée de conventions de délégation de service public, qui permettraient aux cafetiers de dégager un revenu complémentaire en contrepartie du respect d’une charte assurant le caractère gratuit et réellement public des toilettes contenues dans leurs établissements, ainsi que leur accessibilité aux personnes handicapées.

A l’heure où nous mesurons précisément combien la fermeture durable des cafés et restaurants réduit l’accès de tous aux commodités, une telle proposition semble prophétique, bien qu’elle ne puisse à elle seule remédier à la criante carence observée, particulièrement en ce qui concerne les heures de nuit.

A défaut d’engager rapidement les fonds nécessaires à la réalisation de dizaines de toilettes publiques, c’est cette piste que je suggère à votre majorité d’explorer. Humaine, solidaire, sécurisée, elle coûterait évidemment un peu, mais assurément beaucoup moins que le nettoiement des lieux publics dégradés par d’incessantes mictions. Elle assurerait enfin l’accès de tous aux sanitaires publics, femmes comprises, qui n’auront connu en la matière de brève égalité qu’avec la fugace expérience des sanisettes dites « Decaux ».

Je vous remercie de votre attention, fût-elle contenue.

Vanessa Duhamel