CULTUREMusique

Médiacités : Jean-Claude Casadesus, ce très cher chef d’orchestre

Jean-Claude Casadesus lors du concert de “passation de baguette” à Alexandre Bloch, Orchestre National de Lille, le 30 septembre 2016. Photo : Sarah ALCALAY/SIPA

De l’avis général, c’est un homme « charismatique » qui a « tout donné » pour l’Orchestre national de Lille (ONL). Un maestro entièrement dévoué à un ensemble qu’il a « incarné » durant quarante ans. Un artiste entièrement mû par sa passion pour la musique. Mais Jean-Claude Casadesus – que nous avons vainement essayé de joindre via des proches – est aussi un chef dont la rémunération annuelle a atteint… 695 288 euros en 2013 ! Certes, ce fut pour lui une année exceptionnelle de gains, comme nous allons le voir. Mais cela justifie pleinement notre curiosité. D’autant plus qu’il s’agit d’argent public.  

Rémunération, statut, retraite, cachets supplémentaires… Nous avons tout passé au crible en nous plongeant dans les méandres des documents officiels. Et, en premier lieu, dans ce très instructif rapport de la Chambre régionale de la Cour des comptes (CRC) de novembre 2016. Selon les magistrats, Jean-Claude Casadesus a perçu de l’ONL un salaire de 329 855 euros en 2010, 391 220 euros en 2011, 423 264 euros en 2012 et, donc, 695 288 euros en 2013. Ce dernier chiffre fait évidemment tiquer : pourquoi cette augmentation de plus de 270 000 euros en un an ? L’explication tient en premier lieu à l’organisation d’une tournée d’adieux – organisée à la demande du conseil régional, principal financeur de l’ONL – en prévision du départ du chef, alors âgé de 78 ans. Des concerts grassement rémunérés.

Une prime de retraite de 235 000 euros

A cela, il convient d’ajouter une substantielle prime de départ à la retraite. L’indemnité de retraite ou de fin de carrière, selon la terminologie officielle, est très encadrée par les textes et s’applique à tous les musiciens. Elle équivaut à 1/10e de salaire par année d’ancienneté. Lorsque cette dernière est supérieure à dix ans, il faut ajouter 1/15e de salaire par année au-delà des 10 ans. En 2013, le coût global pour l’ONL de cette prime s’est élevée à près de 490 000 euros (en hausse de 40 % par rapport à 2012). Ce bond s’explique pour environ la moitié par le départ du maestro, puisque le montant de la prime de retraite de Jean-Claude Casadesus avoisine les 235 000 euros.

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… Le départ de Jean-Claude Casadesus a entraîné un changement radical d’organisation et la fin d’une concentration du pouvoir jugée excessive. Désormais, les rôles de directeur général et de directeur musical sont dissociés. Le premier agit comme un chef d’entreprise et dispose d’une coquette rémunération de 12 000 euros mensuels. Le directeur musical Alexandre Bloch ne dispose que d’un contrat à durée déterminée – dit « d’usage » – à l’inverse de son illustre prédécesseur. Un CDD qui vient d’ailleurs d’être renouvelé pour cinq années supplémentaires. Son salaire mensuel se limite à 2 500 euros brut. A cela, il faut ajouter environ 6 500 euros par concert (un peu moins lorsqu’il s’agit d’une suite de concerts).

Pour la saison 2018-2019, 25 concerts sont prévus au nom de l’ONL. On peut donc estimer la rémunération d’Alexandre Bloch à 180 000 euros. Soit beaucoup moins que les 400 000 euros – en moyenne – des dernières années de Jean-Claude Casadesus. Mais pas d’inquiétude ! Le jeune maestro complète largement ses revenus avec ses concerts au Düsseldorfer Symphoniker, où il est chef invité principal, et avec ses tournées privées de part le monde…

Les interlocuteurs sont fort peu prolixes quand on aborde ces questions d’argent, comme le soulignait déjà ​l’enquête de Mediapart à ce sujet parue en décembre 2017. « La règle est la discrétion », souffle Philippe Gautier, secrétaire général du SNAM – CGT (Union nationale des Syndicats d’artistes musiciens de France). « Il vaut mieux être footballeur que chef d’orchestre, élude François Bou. Le salaire des chefs fait fantasmer. » Pour Benoît Machuel, secrétaire général de la Fédération internationale des musiciens (FIM), on est loin du fantasme : « Il y a des excès hallucinants. Certains chefs n’acceptent de se déplacer qu’en avion privé. Il n’y a plus de limites. Les montants versés échappent à tout critère objectif. »

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Aucun signe extérieur de richesse connu

De l’avis de tous, ce n’est pas le cas de Jean-Claude Casadesus, à qui on ne connaît aucun signe extérieur de richesse. De plus, le salaire qu’il percevait à la tête de l’ONL reste dans la moyenne des salaires des chefs français. Ce n’est pas pour autant qu’il ne peut pas être questionné. Désormais officiellement retraité, à un niveau de pension strictement identique à tout salarié du régime général, selon l’ONL, le maestro n’en continue pas moins de se montrer très actif. Comme « chef fondateur », il ne touche rien, assure François Bou. Mais comme chef invité, il est bien entendu rémunéré. Combien ? Là encore, c’est le secret défense ! « Dans la moyenne des chefs de sa réputation », se contente-t-on de nous répondre.

Une fois de plus, nous en sommes réduits à des estimations. A l’ONL, cette rémunération se situe entre 1 000 et 15 000 euros. Pour Jean-Claude Casadesus, le montant se situe vraisemblablement entre 10 000 et 12 000 euros. Le cachet comprend les répétitions et correspond en général à une semaine de travail. En 2014, juste après son départ en retraite, Jean-Claude Casadesus a dirigé… 42 concerts. « Pour assurer la transition », précise François Bou, car le recrutement de son successeur a pris plus de deux ans. Ceci équivaut donc à un montant compris entre 252 000 (fourchette basse) et 504 000 euros (fourchette haute). Une sorte de nouvelle prime de départ XXL que cette « année de transition ». Et un joli appoint à sa pension de retraité… Depuis, le nombre de concerts diminue d’année en année : 30 en 2015, 21 en 2016, 13 en 2017, 11 en 2018 et 11 prévus en 2019.

Mais ce n’est pas tout. En quittant Lille, Jean-Claude Casadesus a pu développer une intense carrière internationale qu’il avait négligée pendant quarante ans. « Il a beaucoup sacrifié à l’ONL. Aujourd’hui, c’est devenu une star, notamment en Russie », témoigne Jacqueline Brochen, ancienne administratrice générale de l’orchestre. L’agent parisien de l’ancien chef lillois, Marina Bower, confirme : « Il a consacré la majeure partie de sa vie à l’ONL. Il fallait réhabiliter son nom auprès de tous ces autres orchestres de qualité (…) Il dispose aujourd’hui d’une reconnaissance mondiale ». Et des rémunérations en conséquence ?
Là encore, impossible de le savoir. « Il est coté, il n’a pas des petits cachets car il est respecté », se contente de répondre Marina Bower. Selon une étude de France Culture en 2015, la fourchette d’un cachet de chef invité de dimension internationale peut monter jusqu’à 50 000 euros par concert. Cette somme rétribue l’agent (10 à 20 %), inclut les répétitions, parfois une mission d’enseignement et couvre les frais d’hébergement et de transport…

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EN COULISSES

Pour un journaliste, enquêter sur la rémunération des chefs d’orchestre est un défi redoutable. Tous nos interlocuteurs se sont fermés comme des huîtres. Et cela bien qu’il soit question d’argent public.
Le conseil régional, principal contributeur, ne nous a jamais rappelé malgré plusieurs rendez-vous téléphoniques fixés et de nombreuses relances.

L’ONL a commencé par refuser de nous répondre – sans donner d’explication – avant de se raviser in extremis puis, en dernière ligne droite, de demander à relire l’article avant publication – ce que nous avons évidemment refusé.
Les jours qui ont précédé la parution, les appels téléphoniques se sont multipliés pour nous dire que nous ne cherchions pas au bon endroit, que nous nous trompions de cible. Bref, qu’il n’y avait pas matière à enquêter sur Jean-Claude Casadesus.

A l’heure où les dépenses publiques sont pointées du doigt, la transparence a encore de grands progrès à faire dans le secteur de la culture.

Le budget de l’ONL

Il s’élève à 9,7 millions d’euros. Les subventionnements publics représentent plus de 80 % des ressources totales. La région Hauts-de-France, principal contributeur, a versé près de 5,3 M€ en 2015 – soit 75 % de l’apport des collectivités territoriales.

Elle met aussi les locaux du Nouveau Siècle à la disposition de l’orchestre. Par comparaison, la contribution de la Ville de Lille s’est élevé à seulement 784 870 € en 2017 (dont 50 000 € pour le Lille Piano’s Festival) tout comme en 2018. Cette année, le montant devrait être identique.

Marie Tranchant pour Médiacités du 18 janvier 2019