CULTURELILLE 3000

Contribution Citoyenne de Faire Respirer Lille sur Lille3000 critiquée par la Chambre des comptes

À l’occasion de la publication du Rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur l’association Lille3000

“Nous, Lilloises et Lillois engagés, demandons que les trop-perçus de salaires et le surplus de trésorerie soient reversés à un fonds de soutien aux associations socio-culturelles lilloises”

Violette Spillebout

#1 ETAT DES LIEUX DU TISSU ASSOCIATIF CULTUREL LILLOIS

La culture occupe un rôle-clé dans le développement local. Outre sa participation à la vie économique en tant que domaine d’activité, la culture nourrit et oriente le développement local, elle façonne notre rapport au monde et nos modes de vie. Nos pratiques et nos droits culturels constituent nos ressources pour nous épanouir, nous ouvrir aux autres et nous réinventer collectivement. 

Les enjeux de la culture au cœur du développement local sont plus vastes encore : transition écologique, méthodes de gouvernance et culture démocratique, expérimentation de modèles économiques innovants, transition numérique… 

Depuis de très nombreuses années, Lille occupe une place singulière dans le paysage culturel régional. Notre ville est riche de sa diversité sociale et économique et forte de la présence d’un grand nombre d’artistes, parmi lesquels des talents en devenir et des créateurs de renommée nationale et internationale. 

Cette place singulière, notre ville l’occupe grâce à l’énergie d’un tissu associatif foisonnant, d’institutions culturelles importantes et d’un réseau d’acteurs culturels engagés.

L’investissement de chacune et chacun d’entre eux est d’autant plus remarquable que depuis quelques années leur environnement de travail s’est terriblement dégradé.

Plusieurs structures culturelles ont fait état de leurs difficultés dans la presse depuis quelques années : le Festival de l’Entorse s’est éteint malgré son grand succès, le Théâtre de la Verrière a dû restructurer son équipe et son projet pour survivre, le Biplan a fermé, Nasdac à Fives (Fivestival) a fermé, le Festival du Tire-Laine a partagé ses inquiétudes relatifs à son insuffisance de financement, la Maison Photo tente de rester ouverte malgré l’absence de soutien en fonctionnement… Ces signaux sont alarmants, et interrogent sur les choix faits par les décideurs publics sur le territoires.

Les problèmes s’amoncellent sans aucune prise de conscience. 

Parmi ceux-ci citons : la raréfaction des ressources financières, le gel voire la diminution progressive des subventions aux associations entraînant la réduction du volume des actions, la baisse inévitable de la qualité des services, demandant un sur-travail aux bénévoles et aux salariés éventuels.  La généralisation des financements publics sous la forme d’appels à projets ou d’appels d’offres, au détriment des subventions de fonctionnement, conforte le phénomène de concurrence entre associations. Ces dispositifs produisent des effets de « cannibalisme » induit qui encouragent les grosses associations à absorber l’activité des plus petites, au détriment, parfois, de tout ancrage local, de la participation citoyenne et du débat démocratique. 

Sans idéaliser les petites et moyennes structures ou remettre en cause les actions qui permettraient aux associations d’être plus autonomes, l’inquiétude autour de cette «bipolarisation» de la vie culturelle actuellement à l’œuvre, est réelle. La diversité associative est une richesse. Les stratégies individualistes développées, parfois sous la contrainte, par certaines structures, creusent le lit de la concurrence inter-associative. 

À ces différentes difficultés s’ajoute l’empilement des dispositifs de contrôles qui amènent aujourd’hui de nombreuses structures à dépenser plus d’argent pour évaluer leurs actions que pour les réaliser, mais aussi susciter une exigence de technicité qui est, pour beaucoup d’associations, totalement disproportionnée. Cette exigence de technicité amène d’ailleurs à un glissement conduisant les institutions culturelles, le réseau d’acteurs mais aussi tout particulièrement le tissu associatif à être considérés par la municipalité sortante comme des prestataires de services au public et non plus comme des partenaires. Cette logique s’accompagne d’un manque de lisibilité totale qui empêche les associations de se projeter sur plusieurs années, ce qui leur permettraient de prendre le temps nécessaire à la construction collective et démocratique de leurs actions. 

Nous ajoutons à cette sombre liste trois problèmes plus inquiétants encore dans la mesure où ils mettent en danger le devenir proche de nombreuses structures et associations :

– La précarisation accrue des conditions salariales pour les structures employeuses (salaires allant à peine d’un SMIC à maximum 2000 euros par mois pour la direction d’une petite ou moyenne structure)

– La pression exercée, en échange d’une éventuelle subvention, d’un recours aux fonds privés, alors que le mécénat est très largement dédié aux grandes institutions culturelles lilloises et à Lille3000. Ceci est d’autant plus anormal que les ressources tirées de la générosité des particuliers et des entreprises ne représentent environ que 4 % du budget du secteur culturel au global. 

– Enfin, avec l’accroissement des subventions sur appels à projets, des financements aux résultats et plus globalement la mise en délibération tardive des subventions, la trésorerie des associations s’est considérablement tendue durant ces dernières années ; l’allongement de plus en plus accentué des délais de paiement des crédits publics provoque un stress considérable sur les équipes et engendre de nombreux frais bancaires.

Ces difficultés et obstacles quotidiens apparaissent aujourd’hui, à la lecture du rapport sur la gestion de Lille3000, rendu public par la Chambre Régionale des Comptes, d’autant plus inacceptables et incompréhensibles ! 

#2 LA GESTION INDÉCENTE DE LILLE3000

Le 20 mars 2019, la Chambre Régionale des Comptes a en effet rendu public son premier rapport sur Lille3000, relatant les conclusions d’un contrôle sur les années 2012 à 2017, transmis aux établissements financeurs, le département du Nord, la métropole européenne de Lille, la ville de Lille et le conseil régional des Hauts-de-France.

Alors que vient d’être rendu public ce rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur la gestion de Lille3000, plus personne ne peut désormais ignorer les dérapages qui se produisent au sein de cette association, qui concentre, à elle seule, presque un tiers des subventions accordées par la ville pour la culture : Didier Fusillier, officiellement «conseiller artistique», bénéficiant d’avantages extravagants et d’un encadrement généreusement rémunéré, n’évite pas, malgré tout, une gestion approximative qui conduit à une accumulation injustifiée de trésorerie.

Violette Spillebout, candidate aux élections municipales de 2020, voit dans ce rapport une confirmation de la nécessité d’une réorientation des politiques culturelles à Lille qu’elle avait déjà présentée, le 22 juin 2018, avec Thomas Werquin, président d’Axe Culture et qu’elle étaye ici. 

Rappelons que ce rapport de la CRC fait suite à plus de 10 ans de votes complexes aux sein des collectivités, que le département du Nord a arrêté sa participation il y a quelques années déjà, tout comme la Région Nord-Pas-de-Calais qui s’était désengagée avant que le nouveau Président des Hauts-de-France ne signe un ré-engagement au nom de son institution, sans études préalable et sans passage de la délibération en commission culture. 

1 – Des pratiques salariales de Lille3000 qui ne sont plus acceptables :

Dès 2015, la Chambre Régionale des Comptes, analysant les comptes du Manège à Maubeuge, avait dénoncé les salaires cumulés de leur dirigeant : « En matière de ressources humaines, la rémunération du précédent directeur de la structure (soit Didier Fusillier, NDLR) a été maintenue à hauteur de 75 % de son salaire de référence alors qu’il n’assurait ces fonctions que pour un tiers-temps. Le salaire annuel perçu par l’intéressé au Manège entre juin 2014 et mai 2015, était ainsi de plus de 62 000 € nets, soit en moyenne, de l’ordre de 5 200 € nets par mois, pour une activité équivalente à un temps partiel de 33,33 % ». Didier Fusillier percevait cette rémunération en plus de son second salaire de 3912 euros comme conseiller artistique de Lille3000 pour 9H/semaine.

Comment comprendre que la Ville de Lille, depuis ce constat fait, n’ait pas corrigé la pratique salariale pour le “Conseiller” de Lille3000 ? La Chambre Régionale des Comptes est un organe de contrôle national qui formule des recommandations aux acteurs publics. Il n’est pas tolérable que lesdites recommandations ne soient pas immédiatement mises en oeuvre et que leur suivi ne soit pas rendu transparent pour la bonne information de tous les contribuables.

Nous souhaitons porter un changement de pratique, et exiger la limitation et de non-cumul des salaires des dirigeants pour les structures financées par la Ville.

Le rapport 2019 de la CRC sur Lille3000 soulève le même problème : « Or, la multiplicité de ces fonctions est contraire à l’esprit de la charte des missions de service public pour le spectacle vivant ». 

Selon la juridiction, Didier Fusillier n’aurait dû percevoir que 33,33 % de son salaire brut à temps complet, comme pour les deux autres structures (Manège de Maubeuge et Maison des Arts de Créteil). Avec 8200 euros mensuels brut perçus de Lille3000, cela correspond à 60 % de sa rémunération de référence à temps plein. Du coup, il percevait, pour la période 2012-2015, un revenu brut cumulé estimé par la CRC d’environ 20 500 euros. Et de relever un pourcentage de quotité de travail de 180%.

Sur les 45 mois de fonction de janvier 2012 à septembre 2015, le calcul est simple. Le texte de la chambre indique qu’avec 8200€ brut M. Fusillier a touché 2 fois trop (il aurait dû percevoir un salaire pour un temps de travail à 30% et non à 60%), cela fait 4100 X 45 mois soit 184 500 € de trop perçu. 

A compter de septembre 2015, il quitte officiellement la Direction Générale de Lille3000 pour devenir “Conseiller expert” de Lille3000 : il est encore payé 4300 € brut pour 9H par semaine, ce qui reste exorbitant. D’autant plus que la CRC souligne que “le poste (de DG) est réservé de facto” à M. Fusillier. Il devient en parallèle président de l’établissement public du Parc et de la Grande Halle de la Villette, payé 50% de plus que son prédécesseur à la Villette, soit 162 000 euros brut par an, ajouté à ses émoluments au titre de conseiller artistique pour Lille 3000… Ce cumul des fonctions et de rémunérations de dirigeant est totalement illégitime et cela fait bien longtemps que la Ville aurait dû mettre fin à ces pratiques.

De plus, dans le rapport de la Chambre, on lit que la moyenne des trois plus gros salaires est de 6521€ par mois, (hors M. Fusillier), ce qui est là aussi le double des recommandations des conventions collectives.

Rappelons que ces salaires sont financés en très grande majorité par les impôts des Lilloises et des Lillois. Quelles autres associations Lilloises, métropolitaines voire même régionales, autres que celle directement soutenues et portées dès l’origine par la Ville de Lille, peut offrir ce niveau de rémunération à trois de ses salariés ? Alors même que d’autres associations Lilloises sont obligées de licencier… L’écosystème n’a plus de sens, c’est une certitude.

Aussi, nous demandons la régularisation des rémunérations indûment perçues, guidée par une application stricte de la règle rappelée par la CRC. Ce surplus devrait être reversé à un fonds de soutien aux associations socio-culturelles lilloises.

2 – Un niveau de trésorerie indécent :

Le rapport indique que la trésorerie atteint 5,8 millions d’euros à fin 2017, ce qui est un chiffre très important.  La CRC demande plus de transparence à ce niveau de gestion. 

Calculons la trésorerie normale dont devrait bénéficier l’association Lille3000, qui est selon les standards généralement utilisés pour évaluer le besoin en fonds de roulement, de 3 mois des charges annuelles : sur la période 2015-2017, la moyenne des charges annuelle est de 6,2 Millions d’€ par an soit un besoin de trésorerie qui devrait être d’environ 1,56 million d’€ par an pour 3 mois ;  cela donne un sur-financement de 4,22 millions d’€ par an.

Nous demandons d’une part un audit général des comptes de Lille3000 par un organisme indépendant, rendu public dès 2019, et d’autre part, que les 4 millions de trop de trésorerie soient reversés à un fonds de soutien aux associations socio-culturelles lilloises.

Lille3000 place son surplus de trésorerie à la banque en épargne rémunérée, pour avoir une rentabilité à court terme. Ces “VMP, valeurs mobilières de placement” peuvent être des actions ou des obligations : pour des raisons de liquidité, en général, on utilise plutôt des obligations d’Etat. Ces placements, presque sans risque, sont très faciles à revendre et donc très liquides.

Cependant, ce peut aussi, être des obligations émises par des entreprises ou des actions. Le niveau de risque peut alors être élevé (et on l’espère la rémunération aussi), jusqu’à atteindre des niveaux spéculatifs.

Compte-tenu des sommes en jeux et de la relative permanence des placements et de la possibilité d’une prise de risque, la remarque de la CRC visant à une demande de plus grande transparence est assez minimaliste.

Un regard croisé serait le bienvenu sur un tel sujet (par exemple placement sur double signature Directeur et DAF à partir de 50 000€) et une information mensuelle sur la valeur de marché au jour le jour, à l’attention du bureau, serait légitime.

Même si les collectivités locales, et d’ailleurs toutes les personnes publiques, ont parfaitement le droit de faire fructifier, par des placements, les liquidités de trésorerie dont elles disposent, on peut affirmer que sur le plan de la responsabilité politique, c’est tout autre chose : les collectivités, qui financent Lille3000, sont toutes endettés et payent des intérêt sur leur dette…

3 – Un accès aux équipements municipaux inégalement réparti :

Enfin, le rapport révèle que le loyer des locaux de bureaux de Lille3000 à Euralille est totalement pris en charge par Unibail et que les occupations de la gare Saint Sauveur et du Tri postal, lieux culturels lillois qui accueillent des manifestations de Lille 3000, sont mis à disposition gracieusement à l’association et “nécessiteraient une analyse juridique en regard de l’application du droit de la concurrence… “.

Nous demandons à ce que toutes les associations culturelles lilloises bénéficient de conditions égalitaires (loyer, accès aux salles, fluides, assurances, et autres charges d’occupation prises en charge par la Ville).

Toutes ces révélations choquent les acteurs culturels lillois, qui voient un décalage gigantesque et inacceptable entre les niveaux de rémunérations pratiqués dans leurs structures, les niveaux de trésorerie, les prix des loyers et tous les avantages dont bénéficie le projet Lille3000.

# 3   DEMANDES A LA VILLE DE LILLE

Au vu des excès constatés dans la gestion de l’association Lille3000, Violette Spillebout et le Collectif LilleC réagissent au nom des Lilloises et des Lillois, et formulent 3 demandes à la Ville de Lille, qu’elle pourrait, si elle y consentait, mettre  en oeuvre immédiatement : 

Proposition 1 : établir une règle de limitation et de non-cumul des salaires des dirigeants pour les structures financées par la ville

Proposition 2 : reverser les trop-perçus de salaires et les 4 M€ de trésorerie excédentaire de Lille3000 à un fonds de soutien pour les associations socio-culturelles lilloises

Proposition 3 : lancer un audit général des comptes de Lille3000 par un organisme indépendant