Conseil Municipal du 12 décembre 2025
M. le Maire, chers collègues ;
Le 17 novembre 1936, Roger Salengro se donnait la mort, succombant à une campagne calomnieuse conduite par la presse dite nationaliste.
Roger Salengro, qui fut jeune maire de Lille à l’âge de 35 ans, de 1925 à son décès, mais aussi conseiller général du Nord puis député, laissa un bilan social tout à fait exceptionnel, par la construction de logements, d’écoles, d’hôpitaux, de voiries et de réseaux d’assainissement, de squares et de jardins. Education physique, cantines, colonies de vacances, chacun de ses projets contribuait à apporter, selon son souhait, joie et santé aux Lillois.
Ministre de l’intérieur du gouvernement de Léon Blum en 1936, il rejeta l’usage de la force publique contre les grèves massives qui avaient suivi la victoire électorale de 1936, permettant ainsi la conclusion des accords de Matignon, qui furent notamment à l’origine de la semaine de 40 heures et des congés payés.
Dans le même temps qu’il promouvait la paix sociale, Roger Salengro veillait à protéger notre démocratie ; le 19 juin 1936, quatre décrets dissolurent les ligues nationalistes. Cette famille politique entama alors une campagne de presse, de dénonciation et de calomnies qui le conduisit au désespoir, puis au suicide.
Ecoutons l’éloge funèbre prononcée par le Président du Conseil Léon Blum à Lille le 22 novembre 1936, dont les mots résonnent étrangement à nos oreilles, comme l’écho de propos d’aujourd’hui, comme l’annonce des campagnes d’un groupe de presse conservateur et milliardaire : « depuis que s’est propagée chez nous la presse de scandale, vous sentez se développer dans l’opinion un goût du scandale. Tous les traits infâmants sont soigneusement recueillis, et acidement colportés ; on juge superflu de vérifier, de contrôler, en dépit de l’absurdité parfois criante ; on écoute, et on répète, sans se rendre compte que la curiosité et le bavardage touchent de près à la médisance, que la médisance touche de près à la calomnie, et que celui qui publie ainsi la calomnie devient un complice involontaire du calomniateur… »
Encore Léon Blum fut-il charitable envers les calomniateurs, omettant le rappel de l’ignoble dépôt d’un vieux pneu usagé de vélo sur la tombe de Madame Salengro, décédée d’un cancer en 1935…
La figure de Roger Salengro n’est pas seulement Lilloise, et pas uniquement sociale ; elle est universelle, et démocratique. Celle d’un homme qui fut poussé au suicide parce qu’il voulait le bien, harcelé par la figure hideuse du mal, la folie du mensonge de pseudos journalistes achetés quand ils n’étaient pas vendus, ligués pour bâillonner, pour détruire, enfermer et réduire.
Sa figure est éminemment moderne, et nous rappelle à nous Lillois comme à chaque Français que le ventre est toujours fécond et l’haleine toujours fétide. Alors qu’approche le 90ème anniversaire de son décès, notre commune a le devoir d’enseigner et de transmettre aux générations futures, et d’éclairer ainsi les choix démocratiques que chacun posera, entre Liberté et oppression.
Certes, un hommage annuel est rendu au défunt sur sa tombe au cimetière de l’Est ; mais un hommage discret, à l’heure où chacun travaille, et les enfants à l’école. Quelques lieux publics portent son nom sans raviver sa mémoire ; qui sait aujourd’hui à Lille qu’il fut notre maire, et ce qui causa sa mort ?
Notre commune s’honorerait à s’engager dans une réflexion publique, un cycle de colloques et de manifestations, une « année Salengro » au cours de laquelle la modernité de son combat, et le danger permanent de voir mourir nos démocraties seraient débattus, et les remèdes cherchés… Le texte que fit voter Edouard Herriot en décembre 1936 pour la transparence du financement de la presse et contre l’injure ; ce texte rejeté par un Sénat complaisant, serait l’un des fils conducteurs…
Le chantier proposé est vaste ; il est transpartisan ; notre jeunesse et nos associations pourraient être associées à un vaste débat sur la modernité des valeurs démocratiques, l’éthique publique, la protection des élus dans l’accomplissement de leur mandat, l’éducation aux media, la formation des citoyens à l’appréhension des faits plutôt que des rumeurs… Rien, en définitive, ne serait plus dommageable que d’imaginer un 17 novembre 2026 ne comportant qu’un simple dépôt de gerbe dans une indifférence quasi-générale.
Je vous remercie.





