Parfois jugé élitiste, malgré ses actions de médiation culturelle, le Studio national des Arts contemporains cherche une nouvelle voie qui pourrait s’appeler mécénat. La CRC relève que le financement dépend à 90% de l’argent public. Et soulève la question des conditions de rémunération de son patron et fondateur, un salarié de 78 ans.
Le rapport de la Chambre régionale des comptes sur l’association le Fresnoy – studio national des arts contemporains était attendu. Un équipement créé en 1987 dans le cadre de la réhabilitation d’un grand complexe de loisirs populaires abandonné au coeur du Blanc-Seau, un quartier de Tourcoing (un investissement de 19,51 millions d’euros, 128 millions de francs de l’époque). L’école supérieure d’art est ainsi devenue un lieu unique de création et de diffusion artistique axée sur les techniques de l’audiovisuel et du numérique. Et qui est souvent présentée comme exceptionnelle en Europe. Les promotions de 24 étudiants de haut niveau souvent post doctoral et recrutés après sélection sévère, essaime et contribue à la réputation de l’école. Une réussite. La CRC tempère ce bel engouement et pose quelques questions.
Elle est la seule en France de ce type et dans ce domaine à évoluer sous le statut associatif. Un cas unique que cette association de gestion d’une école supérieure d’art. Selon la CRC, la gouvernance est perfectible et les statuts seront révisés dans les six mois selon l’engagement de l’association et de son président. Le nouveau projet d’établissement préfigure un développement avec un véritable campus sous le label de Studio Lab international. Ou Fresnoy 2. Une nouvelle orientation axée vers la recherche scientifique et la liaison art-science. L’idée est sur l’établi depuis de nombreuses années. Mais il faut de nouveaux financement publics ou privés, par exemple sous le régime du mécénat. « La transformation des statuts facilitera les choses «, explique ce proche du dossier.
Il est vrai que le budget du Fresnoy atteint 5,34 millions d’euros par an. Et 90 % des recettes -4,93 millions d’euros – sont assurées par des subventions publiques, de l’Etat (2,15 millions d’euros), de la région des Hauts-de-France (2,4 m ) et la ville de Tourcoing (203 827 euros) et la MEL, 19 000 euros. Les aides publiques accordées dans le cadre de la crise sanitaire ont même permis de renforcer les fonds propres. 56 % des dépenses totales sont consacrées aux charges de personnel. Soit 34 CDI + les CDD et les intermittents, ce qui aboutit à 48,57 ETP ou équivalent temps plein. Pour financer le programme du Studio Lab, le conseil régional envisage une enveloppe de 3 millions d’euros dans le cadre du contrat de plan Etat-région 2021/2027.
L’autre interrogation posée par les magistrats est ni plus ni moins que le salaire du fondateur âgé de 78 ans. Alain Fleischer, 91 000 euros bruts par an assortis d’un logement de fonction, en l’occurrence un immeuble d’habitation, est le père de l ‘établissement depuis la fin des années 80. Comme le note la CRC, « le montant de sa rémunération ne s’appuie sur aucun élément présent dans son contrat de travail qui date de plus de 30 ans, pas plus que les avenants ultérieurs dont le dernier en date, en tout état de cause, de 2002. Et aussi : « le directeur qui dépasse l’âge de la retraite et qui ayant été enseignant à statut public, pourrait se retrouver en situation de cumul salaires/retraite, il apparaît qu’il n’a à ce jour pas fait valoir ses droits à la retraite » La CRC recommande ainsi une actualisation du contrat avec ses avantages en nature.
Rappelons que le patrimoine immobilier du Fresnoy appartient au conseil régional qui le loue à l’association pour un euro symbolique. Et la CRC de conclure : « L’avantage en nature correspondant a été évalué, en 2002, à 455 823 € par an. Ce montant n’ayant jamais été révisé depuis, une réévaluation de la valeur de ces biens immobiliers qui figurent dans les comptes de l’association serait nécessaire. »
L’administratrice, Stéphanie Robin, touche 63 000 euros bruts/an. Toujours selon la CRC : « si la répartition des missions entre le directeur et l’administrateur est clairement présentée dans les statuts, la pratique quotidienne s’en est écartée. De fait le directeur est surtout « l’ambassadeur du Fresnoy : il en est le pilote stratégique..(…)…il initie les grands partenariats et exerce la fonction de responsable pédagogique..(…)…Cette situation serait à clarifier ». Une place que l’on devine…jupitérienne.
Car Alain Fleischer est un « pape » de la planète culturelle, et son autorité dépasse le monde des cinéastes – il affiche quelque 350 films et documentaires d’art – et de l’art photographique dont il est une référence. Ce docteur en sémiologie, multi-diplômé, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, a aussi signé romans, nouvelles et essais. De même, son président est le haut fonctionnaire et écrivain Bruno Racine, une personnalité incontournable du monde de la culture qui a piloté la Bibliothèque nationale de France, le Centre Georges-Pompidou ou l’Académie de France à Rome, et qui a songé revêtir l’habit vert du quai Conti. Des C.V qui impressionnent.
En creux, la succession du patriarche filtre entre les lignes du rapport. Un constat partagé sur fond de politique culturelle régionale parfois pointée dans les débats politiques et qui resurgissent au gré des scrutins. Le Fresnoy appartient à la catégorie des équipements culturels dévoreurs de capitaux et d’argent public (Lille 3000, Institut de la photo, Series Mania,…) au détriment des petites structures qui se partage la portion congrue de subventions souvent sur la sellette.
En 2003, la chambre régionale des Comptes avait dressé un bilan difficile pour Le Fresnoy. Un cafouillage dans le contrôle des subventions accordées depuis plusieurs années par le conseil régional du Nord-Pas de Calais avait déclenché l’alerte et l’analyse de la CRC reprenait les causes du problème. Le vice-président à la culture d’alors, Ivan Renar, encourait même le risque de confusion des pouvoirs et des rôles dans le mécanisme d’attribution des subventions. Le 29 mai 2000, lors d’une réunion de la réunion de la commission permanente, ce dernier apportait les informations suivantes : « le déficit (de l’association) provient de l’allongement de la durée (en 1999) du dernier contrat de plan…, un audit a été réalisé et il a bien localisé les raisons de ce déficit. Ces raisons ne sont pas dues à des insuffisances de gestion (de l’association)… ».
Mais une subvention exceptionnelle de 2,5 millions de francs était versée pour combler le déficit accumulé depuis l’ouverture. Presque 20 ans après, les choses semblent plus sereines. Et le grand studio national d’art s’apprête à négocier un nouveau chapitre de son histoire.
Hier jeudi au cours de la séance plénière du conseil régional des Hauts-de-France, l’élue EE-LV Katy Vuylsteker, conseillère d’opposition à Tourcoing, a interpellé ses collègues à l’appui du rapport de la CRC et défendu la place du Fresnoy. « Les élus de la région doivent jouer leur rôle d’administrateur et contrôler plus rigoureusement le fonctionnement »… »Il en va de l’efficacité de son fonctionnement, d’une gestion responsable des deniers publics et du développement de ses futurs projets ». Et demande à l’exécutif de Xavier Bertrand de « fournir pour leur prochain rapport (NDLR : de la CRC) un document plus détaillé »