Offensive en cours sur Lille 3000 concoctée sur fond de campagne municipale. Mécontents du projet de délibération prévue ce vendredi à la Métropole européenne de Lille et portant sur une proposition de subvention à Lille 3000, certains candidats et élus demandent purement et simplement le report du débat après le scrutin de mars. Attention majorité des deux-tiers obligatoire. Le président Damien Castelain est publiquement sollicité. Sous l’oeil des fantômes de la politique. La culture est un combat. Petite histoire.
Il n’y a pas que l’écologie ! La culture reste un enjeu politique qui déclenche les passions. Le grand programme de festivités dont la prochaine édition Utopia est en gestation, risque de provoquer quelques
frictions au prochain conseil de la MEL prévu jeudi et vendredi. DailyNord avait informé ses lecteurs d’une certaine précipitation pour inscrire à l’ordre du jour les trois millions d’euros prévus sur trois ans (relire). Comme un echo premonitoire aux 2,5 millions de visiteurs affichés par Eldorado selon les chiffres officiels. Plus d’un euro par visiteur ! La maire de Lille, Martine Aubry, appuie sur l’accélérateur pour sanctuariser l’enveloppe de son grand-oeuvre culturel dans le budget de l’établissement. Les élus EE-LV plaidaient pour un report du débat après les municipales.
Mais si un clivage profond surgit sur les aides à accorder à Lille 3000, comme un battement d’ailes de papillon, la tempête pourrait gagner Lille et sa campagne. » Si Martine Aubry perd Lille, un audit complet sera fait sur Lille 3000… « , chuchote cet élu métropolitain qui croit savoir que la protection déployée par l’ancienne ministre est une de ses principales motivations pour se lancer une quatrième fois et éviter le grand déballage. Déjà au printemps dernier, la Chambre régionale des Comptes qui se penchait pour la première fis sur le sujet avait pointé plusieurs anomalies allant des rémunérations de Didier Fusillier aux modes de gestion de l’association (relire notre article). En conseil municipal, Martine Aubry fit taire les critiques qui fusaient de la part de certains élus de son opposition (mais pas de Jean-René Lecerf, le président divers droite du conseil départemental du Nord, et son bras droit David Hugoo). Relire.
Parce que la culture dans la grande agglomération lilloise d’un million d’habitants, c’est toujours un sujet d’empoigne. Martine Aubry se souvient-elle de ce jour maudit d’avril 2006, quand le beau consensus qui réglait les rouages de la machine communautaire (la communauté urbaine de Lille) présidée par le magicien des majorités Pierre Mauroy, s’était enrayée* ? Et les 350 000 euros promis pour la parade inaugurale de Bombaysers, l’édition de Lille 3000 de l’époque, seront purement et simplement retoqués. C’était il y a treize ans. Les petites communes, regroupées dans Métropole passions communes, et emmené par le maire de Comines d’alors Henri Segard, avaient voté contre, ulcérés qu’on les stigmatise en « diktat de la minorité ». Ariane Stefani-Deprez pour le groupe UMP, avait déclaré : » Le dossier est disproportionné alors que nos concitoyens attendent des crédits pour le développement économique ». « Fête en carton-pâte,… éphémère..« a-t-on même jeté dans la fournaise. Même le succès récent de Lille 2004, capitale européenne de la culture (10 millions de visiteurs) et le coup de colère de Didier Fusillier, le grand ordonnateur de l’événement, n’y feront rien. 86 pour, 80 contre, une abstention. Mais la majorité était fixée aux deux-tiers.
Aujourd’hui, l’agglomération est devenue une métropole et les règles de fonctionnement tout comme sa géographie politique ont changé, mais une telle mesure doit toujours se prendre à la majorité qualifiée. En 2014, Martine Aubry a perdu la présidence désormais assurée par Damien Castelain grâce au renfort de la gauche. En 2016, déjà, les aides à Lille 3000 avaient provoqué un vif débat emporté de peu par la majorité. En cette séquence électorale indécise, les fantômes de la culture battent la campagne de Lille.
Dans une lettre ouverte adressée ce jour à Damien Castelain, le patron de la MEL, la task force La République en Marche et ses alliés Modem et UDI demandent carrément le retrait de la mesure dont les trois millions d’euros semblent injustifiés en regard de la situation des petites associations culturelles, parfois marginalisées. Violette Spillebout, candidate pour Faire Respirer Lille, Frédéric Marchand, sénateur LREM du Nord, Gilles Pargneaux, ancien député Européen, Brigitte Liso, députée LREM du Nord, Laurent Pietraszewski, député LREM du Nord, Bernard Charles, conseiller municipal et Thibault Denis Du Péage, conseiller municipal tous deux Faire Respirer Lille, Nicolas Lebas, chef de file UDI et Vanessa Duhamel, chef de file MoDem tous deux pour Faire Respirer Lille, lui demandent de ne pas cautionner une “telle manoeuvre“, “déni de démocratie”, pour soutenir un projet qui n’a jamais fait consensus depuis 15 ans, osant même “Rien ne justifie pareille précipitation, sauf à usurper le vote des citoyens, sauf à imaginer faire primer des intérêts très particuliers sur l’intérêt général“.Lille 3000 deviendra-t-il le talon d’Achille de Martine Aubry, très attachée à l’événement ? Un talon d’Achille placé sous le signe de Mars (le scrutin est prévu pour les 15 et 22 mars).“Il semble que les 5 millions d’euros de trésorerie de Lille 3000 peuvent tout à fait permettre ce décalage des décisions sans aucune conséquence pour la poursuite des projets en cours. Nous nous permettons de vous rappeler par ailleurs les conclusions du dernier rapport de la Chambre régionale des Comptes publié en mars 2018. Ce rapport met en exergue des dysfonctionnements et irrégularités inquiétantes sur le fonctionnement de cette association“. Et de réclamer le gel des aides et les corrections indiquées par la chambre régionale des comptes. Mais la volonté de refaire le “coup de 2006” est patente.
Après les candidats de la liste « Les Lillois sont formidables » emmenée par Thierry Pauchet (relire), Le sénateur Marc-Philippe Daubresse, candidat LR à Lille, entonne le même couplet et demande lui aussi le report de la délibération impie. « Alors pourquoi hypothéquer l’avenir en versant trois millions d’euros d’argent public à Lille 3000… » Bref, cette édition Utopia mérite son appellation d’origine très contrôlée.
* Doit-on remonter le temps jusque dans les années 80 et évoquer les réticences de certains élus de Roubaix et Tourcoing – le versant nord-est de l’agglomération – qui pestaient contre le plan de subventions versées à l’Opéra du Nord en déconfiture et victime d’une trop grande ambition politique et culturelle quand les pouvoirs locaux n’étaient pas encore prêts ? Au milieu des années 70, le conseil régional du Nord-Pas de Calais s’ébrouait et, pour doper son développement et affirmer son autorité, portait sur les fonts baptismaux un Orchestre national de Lille depuis une réelle compétence culturelle alors que la communauté urbaine la dédaignait préférant se concentrer sur le soutien aux grands événements métropolitains et ne mégotant d’ailleurs pas ses aides. Ce que l’on appelle le poids de l’histoire.