Madame le Maire, chers collègues ;
La présente délibération a pour objet d’aider l’association Krysalide dans son soutien au développement du cinéma documentaire africain, qui, nous dit-on, souffre de l’absence de marché local. Ainsi projettera-t-on notamment un certain nombre d’œuvres africaines dans nos établissements scolaires, pour favoriser l’ouverture sur le monde.
Soulignons tout d’abord qu’en la matière la prudence sera de mise, après l’élection démocratique le 24 mars dernier d’un président souverainiste au Sénégal, M. Bassirou Diomaye Faye, qui pourrait voir dans notre sollicitude un relent de post-colonialisme. Pour autant, notre confiance est entière en l’énergie, le talent et la diplomatie des acteurs de l’association que nous nous apprêtons à soutenir.
Reste que ce projet résonne singulièrement aux oreilles de ceux de nos concitoyens qui s’engagent depuis plusieurs mois dans le soutien au cinéma d’art et essai ; notre commune va subventionner un cinéma qu’elle nous dit dépourvu de public, afin précisément d’initier une demande en soutenant l’offre, dans le même temps que notre maire assurait en conseil municipal que l’absence d’un cinéma d’art et essai à Lille est principalement le résultat de son manque de rentabilité… c’est-à-dire de public. Qui ne perçoit aussitôt le « deux poids, deux mesures » ?
Il est exact, cependant, que le public cinéphile décroît nettement, particulièrement depuis la crise sanitaire, qui a incité de très nombreux spectateurs à privilégier Netflix ou Disney+, le confort du domicile, l’économie des difficultés de transport et des dangers croissants de la voie publique, plutôt que la promiscuité d’une salle et la longueur de ses publicités.
Le grand complexe généraliste semble voué au déclin au même titre que la grande surface commerciale succombera face à la livraison à domicile, hormis lorsqu’ils s’intégreront à un quasi parc d’attraction où l’on pourra passer une journée en famille dans une pluralité d’activités.
Que subsistera-t-il, probablement ? Les salles « grand luxe », dont certaines s’installent déjà, avec fauteuil chauffant et « expériences » en tout type, lesquelles seront réservées à une clientèle assumant un coût élevé, et à l’autre bout du spectre les « passionnés » de l’action culturelle plutôt que de la consommation culturelle.
Ainsi les quelques salles d’art et essai dont vous vantiez l’existence au sein de structures commerciales disparaîtront-elles en même temps que les complexes qui les hébergent avec un confort déjà déclinant.
La permanence de cinémas exclusivement dédiés à l’art et l’essai n’en sera alors que plus cruciale pour leur dimension sociale, éducative, culturelle et de médiation, l’accueil des scolaires et l’éducation à l’image, la passion que l’on transmet au fil des générations, au même titre que les moines transmirent et préservèrent l’acquis des siècles passés dans les troubles et le fracas médiéval.
Nous savons, certes, que l’arrêt « Société le Royal Cinéma » rendu par le Conseil d’Etat le 10 mars 2021 prohibe l’aide publique à la création d’un cinéma, et que la loi « Sueur » du 13 juillet 1992 réserve l’aide au fonctionnement aux cinémas accueillant moins de 7.500 spectateurs hebdomadaires. Mais de magnifiques expériences précédentes, telle que celle dévelopée en Seine Saint Denis par l’association « Kourtrajmé » et Ladj Ly, l’exemple de Champigny sur Marne, de Pradès et plus près de nous de Marcq en Baroeul, des biais tels que des salles publiques dont la gestion est déléguée, témoignent de ce que la puissance publique n’est pas impuissante à développer le cinéma d’art et essai au même titre qu’elle crée et/ou finance les musées, les orchestres et les écoles d’art, ainsi que tant d’acteurs culturels indispensables à la survie d’une vie culturelle exigeante.
Vous signaliez que deux cinémas Lillois avaient été revendus faute de rentabilité, nous vous répondons qu’il s’agit d’un enjeu culturel, et, l’exemple Sénégalais aidant, qu’il est indispensable de s’affranchir de l’unique prisme libéral en matière culturelle. De même que votre invocation de la salle Saint Sauveur, de l’Hybride et de l’Univers compare, évidemment à tort, des structures associatives avec un véritable cinéma projetant des œuvres récentes à des horaires adaptés à tous les publics.
« Le cinéma est un art, et par ailleurs une industrie », écrivait André Malraux dans « Esquisse d’une psychologie du cinéma», en 1939. Nul doute que le fondateur ultérieur des Maisons de la Culture se fût rallié au soutien public salutaire à la nature artistique du cinéma.
Ainsi voulons-nous derechef vous inciter ici à favoriser l’implantation d’une telle œuvre d’intérêt général dans notre commune et collaborer avec l’association « Lille Cinéphile ». Nous confirmons, enfin, notre disponibilité à participer à tout groupe de travail qui serait mis en place.
Je vous remercie.